Saturday, July 4, 2009

Les satellites prennent le pouls de la planète

L’exploration spatiale sonde les confins de l’univers. Ces dernières années, elle opère un retour marqué vers la Terre. Une nouvelle exposition permanente, « Objectifs Terre, la révolution des satellites », ouvre mardi 16 juin à la Cité des sciences à Paris

Voir ou mesurer, ce n’est pas forcément comprendre. Les scientifiques en savent quelque chose. Pendant plusieurs années, le satellite américain Nimbus-7 (lancé en 1978) a engrangé des mesures sur les gaz présents dans l’atmosphère. Il avait à son bord un tout nouvel instrument, Toms, dédié à la mesure de l’ozone. Et consciencieusement, pendant plusieurs années, lors du traitement informatique des données, toutes les valeurs jugées trop basses en ozone ont été écartées au motif qu’elles étaient forcément erronées. Personne n’avait compris que Nimbus-7 mesurait très scientifiquement un phénomène alors totalement ignoré des scientifiques : le trou de la couche d’ozone. Le fameux trou ne sera découvert qu’en 1985, à partir d’une station de mesure au sol dans l’Antarctique. Ayant compris leur bévue, les scientifiques purent alors dérouler à rebours le film des événements. « Les analyses ultérieures des données satellites brutes montrèrent que la destruction d’ozone était un phénomène rapide et de grande échelle, affectant la quasi-totalité du continent Antarctique et dont l’existence avait largement précédé sa découverte », explique Vincent Cassé, de Météo France, dans le livre de l’exposition Objectifs Terre, la révolution des satellites (1).Au-delà de l’anecdote, Nimbus-7 témoigne de la capacité unique des satellites à embrasser la planète d’un coup d’œil, à appréhender des phénomènes à grande échelle, à parcourir le globe, à visiter et revisiter sans fin les recoins et les espaces les plus inaccessibles depuis le sol. Les satellites, et leurs instruments embarqués, voient et engrangent en permanence des données. Mais ils ont une vision extrêmement fragmentée.
Chacun sa missionÀ chacun sa modeste mission d’observation : cartographier les continents et les fonds marins, quantifier le dioxyde de carbone dans l’atmosphère, mesurer le niveau des océans ou la température de l’air, apprécier les réserves en eau, soupeser les nuages, détecter la présence de phytoplancton, évaluer l’épaisseur de glace, suivre la fonte de la banquise, visualiser le couvert végétal, détecter l’humidité des sols en profondeur, etc.Les satellites n’apportent que des bribes d’informations, telles quelques pièces éparses d’un immense puzzle que les scientifiques veulent rassembler sous forme de planète numérique. « Un vieux rêve de physicien », concède le climatologue Hervé Le Treut qui s’attelle, avec ses milliers de confrères de tous pays, à construire cette « maquette vivante animée d’un comportement aussi proche que possible de celui de notre vraie planète ». Les satellites ne seraient rien en effet si la révolution en orbite – résolution de plus en plus fine, multiplication des instruments et des longueurs d’onde, mesures radar qui permettent de s’affranchir des contraintes de la nuit ou de la couverture nuageuse – ne s’était accompagnée au sol d’une révolution dans le calcul et la modélisation numérique. Patrick Vincent, le directeur des programmes de l’Ifremer, se souvient ainsi du premier satellite océanographique, Seasat, lancé par les États-Unis en 1978 : « On n’avait collecté qu’un mois de données, car un incident a très vite écourté la vie du satellite, mais on a mis dix ans à exploiter toutes ces données totalement nouvelles ! »
Supercalculateurs hyperpuissants C’était il y a trente ans, les satellites entraient alors tout juste dans l’histoire scientifique. Aujourd’hui, des supercalculateurs hyperpuissants comptent en « teraflops » : ils malaxent des milliers de milliards de données à la seconde et traitent des informations en temps réel, fournies par les satellites Landsat, Spot, Envisat, Meteor… La demande de données ne fait que s’accroître, d’autant plus que celles-ci restent infiniment parcellaires pour appréhender l’incroyable complexité du système Terre et du couplage océan-atmo sphère. Chaque donnée appelle une ribambelle de nouvelles. Et chaque question génère son flot de nouveaux instruments.« Avec les altimètres, nous mesurons l’élévation du niveau de la mer, cette augmentation de trois millimètres par an, mais il s’agit de mesures relatives. Il nous faut établir un niveau de référence pour nous affranchir de l’impact des courants qui déforment la surface de l’océan. C’est précisément la vocation du satellite européen Goce, lancé en mars dernier : son gradiomètre mesurera le champ gravitationnel terrestre », donne en guise d’exemple José Achache, directeur du Groupe intergouvernemental d’observation de la Terre (GEO).« On doit mesurer des dynamiques qui se produisent à différentes échelles spatiales et temporelles : les vagues et la houle qui évoluent au fil des minutes ou des heures, les grands courants marins, comme le Gulf Stream, qui ont des dynamiques à l’échelle de mois ou d’années et les mouvements océaniques qui, eux, se mesurent à l’échelle de décennies, voire de siècles », ajoute Patrick Vincent.
Un gisement d'informations colossal« Le gisement d’informations est colossal. Nous sommes au début de l’observation de la Terre, les appareils de mesure commencent tout juste à être au point pour savoir ce qu’ils mesurent ! », fait valoir Frédéric Huynh, directeur de l’unité espace de l’IRD. Et, partout, des applications opérationnelles voient le jour. « On peut suivre de combien de millimètres Venise s’enfonce chaque année », commente ainsi Éric Lapie, commissaire de l’exposition. Quelques centaines d’agriculteurs français disposent d’un suivi de leur exploitation par satellite. « On mesure l’indice foliaire et le contenu en chlorophyle des parcelles, cela permet d’estimer le potentiel de rendement et de calculer les besoins en azote », explique Frédéric Baret, spécialiste de télédétection à l’Inra d’Avignon.Voir et mesurer, pour comprendre, modéliser et prévoir. Les satellites sont porteurs d’un immense espoir pour aider la communauté internationale à piloter le vaisseau Terre, « ce frêle esquif ballotté dans l’espace sidéral », pour reprendre l’expression du philosophe Jean-Michel Besnier. De nouvelles missions apparaissent en matière de surveillance environnementale (dégazages en mer, déforestation, surexploitation de la ressource halieutique ou émissions de gaz à effet de serre [GES]…). Un système global de surveillance des forêts devrait être dévoilé à Copenhague lors de la conférence en décembre prochain sur l’avenir du protocole de Kyoto. « Si l’on veut mesurer la reforestation, il faut pouvoir s’assurer que les efforts accomplis sur une partie du territoire ne s’accompagnent pas d’une déforestation ailleurs », explique José Achache. De même, les légères différences de concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère devraient permettre de localiser les sources d’émission de CO2 et, par ce biais, de s’assurer que les engagements de réduction de ces émissions sont respectés.Marie VERDIER (1) L’exposition «Objectifs Terre, la révolution de satellites»: nouvelle exposition permanente de 1000 m2 à la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette à Paris. Ouverture aujourd’hui. sur www.cite-sciences.fr ou au 01.40.05.70.00. Le livre de l’exposition, coédition Le Pommier-Cité des sciences, 192 p., 39 €.

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